Quand les héros tombent de leur piédestal : que faire face aux figures problématiques ?

 

C’est une situation qui revient régulièrement. On admire un auteur, un artiste, un créateur, un acteur, un réalisateur... et un jour, patatra. On apprend qu’il a tenu des propos révoltants, qu’il a été accusé de comportements abjects, qu’il a été impliqué dans des actes condamnables. Parfois, c’est du passé qui remonte à la surface, parfois c’est en direct sous nos yeux. Et là, grande question : que faire ? Peut-on encore s’intéresser à leurs œuvres ? Doit-on les boycotter ? Faut-il s’empêcher de lire un livre, de voir un film, de jouer à un jeu de rôle sous prétexte que son créateur est problématique ?

 

 

Le cas des artistes disparus : peut-on apprécier leur héritage ?

Prenons Lovecraft. Ah, Lovecraft... Son univers est fascinant, il a influencé des générations entières d’auteurs, de réalisateurs, de game designers. Mais ses idées politiques et son racisme étaient d’une violence absolue, même pour son époque. Alors, que fait-on ? On arrête de jouer à L’Appel de Cthulhu ? On brûle les bouquins ?

Difficile à dire. D’un côté, Lovecraft est mort. Il ne touche plus d’argent, ne diffuse plus ses idées. Mais ses œuvres continuent d’être rééditées, et les créateurs qui s’en inspirent, eux, sont bien vivants. Peut-être que la meilleure manière de gérer cela, ce n’est pas de tout jeter, mais de prendre du recul, d’être conscient du problème et, pourquoi pas, de se réapproprier ces univers avec un regard critique. C’est d’ailleurs ce que font de nombreux auteurs aujourd’hui, en diversifiant les voix dans le mythe de Cthulhu et en s’affranchissant des biais racistes du maître de Providence.

Quand l’artiste est toujours en activité : le dilemme du soutien indirect

Un cas différent, c’est celui des créateurs encore vivants. Quand une figure du cinéma, du jeu vidéo ou du jeu de rôle est impliquée dans un scandale, on se retrouve à devoir gérer la question autrement. Un exemple récent, c’est J.K. Rowling. Beaucoup ont grandi avec Harry Potter, et son univers reste une référence dans la fantasy. Mais les prises de position de Rowling sur les questions transgenres ont créé un malaise profond dans une partie de sa communauté de fans. Certains refusent désormais de lire ses livres ou d’acheter quoi que ce soit en lien avec Harry Potter, car ils estiment que cela revient à lui donner une tribune et à financer ses idées. D’autres se sentent trahis, mais n’arrivent pas à renier un univers qui a marqué leur enfance.


 

Le boycott est une option, mais ce n’est pas la seule. Certains choisissent de continuer à lire ou à jouer à des jeux dans l’univers de Rowling, mais sans la soutenir financièrement. D’autres décident de transformer cet univers à leur façon, en l’ouvrant à des thématiques plus inclusives. Finalement, chacun fixe sa propre limite.

 

Réinterprétation ou rejet ? Le cas des figures du passé

Il y a aussi ces figures du passé qu’on adule sans toujours se poser de questions. Howard, le créateur de Conan, avait une vision du monde assez douteuse, marquée par un certain élitisme culturel et des idées raciales influencées par son époque. Ses récits, bien que fondateurs du genre sword & sorcery, reflètent parfois une hiérarchisation des civilisations et des stéréotypes aujourd’hui critiqués. 

John Norman et sa saga Gor sont aujourd’hui quasiment irrécupérables tant ils sont ancrés dans une vision hyper-misogyne. Et pourtant, certains continuent à s’intéresser à ces univers, parfois en les transformant, parfois en les lisant avec distance, parfois en les laissant tomber purement et simplement. La question est la même pour les vieilles œuvres qui répètent des clichés racistes, sexistes ou colonialistes : faut-il les effacer ou les recontextualiser ?

 

Peut-on vraiment séparer l’œuvre de l’artiste ?

Tout dépend, en fait, de ce que l’on est prêt à tolérer. Il y a une différence entre reconnaître qu’une œuvre a une valeur historique ou artistique et la vénérer aveuglément. Ce n’est pas parce qu’on aime un film, un livre ou un jeu qu’on doit excuser tous les travers de son créateur. C’est le fameux "séparer l’œuvre de l’artiste" ? Je ne serais pas si affirmatif. Parfois, il est très difficile de jeter aux orties ses valeurs et son ressenti. L’impact émotionnel qu’un artiste ou une œuvre peut avoir sur nous est profond, et il est difficile de faire abstraction de ce que l’on sait désormais sur son créateur. Une fois que l’on découvre certaines vérités, il devient compliqué de retrouver un regard neutre ou bienveillant sur une œuvre.

Et donc, on ne va plus, de manière presque naturelle, lire, écouter ou regarder une œuvre d’un artiste problématique. Sans pour autant le faire dans une démarche consciente de boycott, mais plutôt parce qu’il y a un blocage intérieur, une perte d’envie, un malaise diffus qui s’installe. Ce n’est pas une décision rationnelle, mais une réaction presque instinctive, un rejet inconscient qui rend l’appréciation difficile, voire impossible.

Ce n’est certainement pas évident du tout, car cela entre en conflit avec nos souvenirs, notre attachement à l’œuvre et la place qu’elle occupe dans notre imaginaire. Peut-être que ce processus est plus facile à faire avec un artiste mort qu’avec quelqu’un qui continue à produire des œuvres, car dans le premier cas, on peut considérer que son influence s’arrête là, alors que dans le second, on sait que chaque nouvelle production continue d’alimenter son impact et, parfois, sa toxicité.

 

Chacun trace sa ligne

Finalement, il n’y a pas de règle unique. Certains choisiront de boycotter, d’autres de réinterpréter, d’autres encore de continuer à apprécier l’œuvre tout en étant conscients de ses problèmes. L’important, c’est d’avoir une réflexion critique, de ne pas idolâtrer aveuglément et de garder en tête que les héros, aussi brillants soient-ils, restent des humains faillibles.

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